9 janvier 2010
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Le journal "Le Matin" a deux dates de naissance : la première, le 16 juin 1882 et la seconde, le 26 février 1884. C'est la seconde qui est retenue par le journal comme sa véritable date de naissance. Le document présenté ici correspond à la première naissance du "Matin". |
Dans le tout premier numéro du Matin, l'éditorialiste (qui n'a pa signé) définit la ligne politique du nouveau quotidien : un journal indépendant, républicain, laïc et national. En 1882, c'est un programme dans l'air du temps.
En le lisant, on ne peut s'empécher de penser qu'il aurait pu être écrit en beaucoup d'époques, proches ou lointaines. Le discours politique se renouvelle rarement.
Source : BNF Gallica (ce n° du Matin en ligne)

Vendredi 16 juin
NOTRE PROGRAMME
Dans un temps où les questions de personnes tendent à prédominer sur les questions de principes, une affirmation d'indépendance est déjà un programme. Ce sera celui du Matin.
Nous sommes républicain, parce que nous croyons que c'est aujourd'hui le seul gouvernement compatible avec la tranquillité du pays. Depuis près d'un siècle, en effet, toutes les autres formules gouvernementales sont venues démontrer tour à tour leur impuissance. Mais pour que la tentative essayée pendant onze ans, déjà, n'aboutisse pas encore une fois au despotisme, il faut que chacun prenne sur soi de travailler au triomphe des intérêts supérieurs de la France, de préférence aux intérêts d'un parti ou d'une personnalité.
Dans toutes les questions qui s'agitent à l'heure actuelle devant le Parlement nos législateurs ont trop souvent oublié ces principes nécessaires.
Les discussions de loi sur l'enseignement, sur la réforme judiciaire, sur la réorganisation de l'armée ont été tour à tour des champs de bataille où les partis se sont rencontrés, non pour édifier quelque chose de durable, mais pour ériger un monument à la gloire du vainqueur. Qu'en est-il résulté ? Rien de bon. Car au lendemain même du vote d'une réforme, cette prétendue amélioration est déjà elle-même à réformer.
Aussi n'est-il pas étonnant que le pays se détourne de plus en plus des choses de la politique. A force de voir ses volontés les plus clairement manifestées mal comprises ou éludées, il se réfugie dans l'abstention par lassitude.
Cet état de choses est dangereux dans un gouvernement d'opinion où les défaillances du suffrage universel peuvent laisser tomber le pouvoir aux mains d'une minorité violente.
Le moyen de l'éviter est tout indiqué : c'est, nous le répétons, de n'envisager désormais les questions qu'au point de vue des intérêts du pays.
Le rôle de la presse est de contribuer, à cette tranformation nécessaire, et le Matin se vouera à cette tâche.
La ligne de politique extérieure du Matin sera encore plus simple. Nous ne demanderons à nos ministres rien autre qu'une politique vraiment nationale ; et par politique nationale nous entendons une politique digne d'une nation ayant un passé historique quinze fois séculaire, c'est-à-dire ayant pour but principal de nous faire recouvrer dans le monde l'influence que nous possédions avant nos revers.
Ce n'est pas, d'ailleurs, par les délimitations vagues d'un programme qu'un journal peut affirmer sa ligne de conduite; mais au cours des discussions de tous les jours.
Aussi, le Matin s'en remettra aux luttes quotidiennes de la politique pour justifier son titre de journal indépendant et national.